vendredi 14 mai 2010

Exercice de styles‏

Il y a plus d'une façon de voir une histoire.

***
On peut le raconter comme si on parlait d'une autre :

Elle avait l'air si triste. Un petit visage fantôme et de la peine plein le coeur. Difficile de savoir ce qui se passait dans cette jeune tête-là. Il n'y avait plus qu'elle et une autre fille dans la classe. Tous les autres étaient debouts à l'avant. Ils avaient déjà été choisis. Comme d'habitude, elle serait dans le peloton des deux ou trois dernières à être appelées. Elle était bonne à l'école. Pas dans les sports ni dans les amitiés enfantines.

Comme d'habitude, il y a avait ce malaise. Ce je ne veux pas la choisir celle-là. Elle se trouvait moche. Et grosse. Et laide. Elle ne l'était pas vraiment. Mais on lui avait martelé si souvent que c'était imprégné dans elle. Sur elle. Comme une seconde peau. Gluante et dégoûtante.

Elle avait la tête si basse. Elle ne semblait pas vouloir la relever. Mais elle l'a fait. Un regard qui tue. De grands yeux écarquillés, effrayés par la vie. Elle a eu l'air de voir quelque chose de très triste. En regardant ce gars face à elle. Un grand maigre avec un drôle d'air. Il avait le regard clair. Doux. Un regard qui l'a prise dans ses bras une fraction de seconde. Elle a accepté. Sans mot.

Puis, elle a rebaissé la tête. Découragée. Un peu moins et encore plus à la fois.

Ce jour-là, elle a été l'avant-dernière à être choisie.

***
Il y a le dialogue aussi.
 
- T'es en 5e année, non ?
- Oui.
- Pourquoi t'as l'air si triste ?
- Tu devines pas ?
- Y'a tellement d'raisons possibles. Tu t'trouves laide ? T'es pas populaire ? T'as l'impression qu'y'a personne qui t'aime ? Y'en a tellement...
- Tu vois bien qu'y reste juste 2 personnes à choisir pour les équipes... Chu toujours la dernière ou l'avant-dernière. Ça change jamais. Le monde m'aime pas.
- Les jeunes sont méchants. Gratuitement.
- Oui, mais pourquoi avec moi ? Moi j'ai rien fait... T'as vu son regard ?
- Oui. Mais même si je l'avais pas vu... Ça marque. Surtout les p'tites filles abîmées.
- Y'me comprend. Un peu. J'le sens. Ché pas pourquoi j'l'aime bien. Mais j'l'aime bien. J'l'aime plus que bien. Pis des fois, c'est con, mais j'ai l'impression qu'lui aussi.
- Tu sais qu'tu devrais pas t'trouver aussi laide ou grosse ou détestable ?
- Mais j'le suis.
- Non. Tu l'sais juste pas encore.
- Ça pas rapport. On l'est ou on l'est pas.
- Non. J'te jure. En vieillissant, ça change.
- Quesse qui change ?
- Tu verras. Ça va t'faire d'la peine aujourd'hui d'être l'avant-dernière choisie. Mais tu vas t'en rappeler. Pis au bout du compte, tu vas survivre pas pire. La vie, ça va souvent en s'améliorant... Maintenant, on le sait. À 29 ans. Sois patiente. Essaie de l'être le plus possible.

Le dialogue entre le soi de maintenant et le soi de jadis vous aurez compris.

***
Notre histoire est gravée en nous. Souvent, ce n'est qu'un chapelet d'évènements bien anodins. Celui-là, j'aurais pu en faire 100 versions différentes. Ce souvenir-là, je l'aime bien même s'il est triste. Parce qu'il fait partie de moi. Parce qu'il m'a appris bien choses. À cause d'un seul regard. J'en ai même déjà parlé indirectement quelque part sur ce bout de toile je crois. Peut-être pas non plus. Ça importe peu. Je voulais juste vous le partager.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est effectivement triste.

M. a dit…

Nous sommes tous constitués d'une mosaïque d'histoires belles ou tristes. Chaque pièce est importante et c'est ce qui fait en sorte qu'on ne peut fermer les yeux sur ce qu'on a jadis été.

L'impulsive montréalaise a dit…

@redbee2 : Triste oui. Mais vois-le sous une autre perspective. Je suis devenue une femme sensible, à l'écoute des autres, qui a su tiré de belles leçons de ces enfants qui sont méchants si facilement. Du coup, je ne tolèrerais pas de voir ce genre de choses devant moi, j'essaie de ne jamais être méchante gratuitement... Je crois que j'y ai gagné au change !
@Mimosa : Je suis d'accord. Ça fait partie de moi, de qui je suis devenue. Et comme je considère que je suis devenue pas pire pantoute, ben j'accepte toutes mes expériences... même les tristes ou les laides. Ça nous apprend beaucoup ces choses-là.

La Brunette a dit…

J'aurais pu avoir le même dialogue avec moi-même. Parfois, j'aimerais beaucoup faire un saut dans le passé pour me voir, et me conseiller. Me dire que toutes mes attentes, tous mes espoirs, tous mes doutes partiront en grandissant.
Par contre, je crois que ce genre de situations "forgent" aussi un caractère. Je suis convaincue que tu es plus épanouie et heureuse que bien des enfants qui ne te choisissaient pas dans leur équipe. On apprend beaucoup plus sur soi de cette façon. Je pense que toutes ces petites étapes là nous permettent de mieux vieillir, de se comprendre, s'accepter. Même si ce sont des expériences blessantes.
Je dis ça là, à 20 ans. Mais ce n'est que récemment que j'ai compris tout ça. Et quand je recroise les gens avec qui j'ai grandi, parfois, j'ai peur qu'ils me voient toujours comme avant.
Une grande femme a dit : No one can make you feel inferior without your consent. Plus j'avance dans la vie, plus je me le répète.
Merci de partager tout ça avec nous.

Sébastien Haton a dit…

C'est d'autant plus émouvant que j'ai vécu la même chose pendant de nombreuses années. Plus jeune, plus petit, plus frêle, mais je compensais par beaucoup d'énergie et d'enthousiasme. Et puis j'ai grandi, je me suis affirmé et un jour c'est moi qui ai choisi mon équipe...
Je n'aimai pas ça non plus, je préférais être choisi en 2 ou en 3, histoire de compter pour les autres sans qu'on comptât trop sur moi.
Voilà qui en dit beaucoup ;-))

L'impulsive montréalaise a dit…

@La Brunette : Je n'aurais pas pu dire différent. Moi aussi, j'aurais voulu pouvoir me parler. Et moi aussi, j'y tiens à ces étapes-là, ces expériences que j'ai vécues. Parce qu'elles ont fait de moi qui je suis. :)
@shaton : Tellement d'enfants ont vécus ça. L'enfance au final, c'est bien ingrat. On nous rejette pour n'importe quoi et de toutes les façons possibles. Mais on grandit et on s'aperçoit qu'on passe par-dessus tout ça. Parce qu'on a enfin compris certaines vraies choses.

Sébastien Haton a dit…

Sur des équipes de 5 ou 6, on peut dire qu'un enfant sur 3 (en moyenne) a vécu ça, la place de dernier ou d'avant-dernier.
Pour certains qui ont "compris certaines vraies choses", comme tu dis, ces ingratitudes ont fait du bien, finalement.

Miss Candy a dit…

J'ai souvent eu se dialogue avec moi-même. Je l'ai encore parfois. Mais j'ai pas 29 ans, alors je ne sais pas encore tout à fait ;)
Même adulte, il y a des situations similaires, où personne ne tient vraiment à nous avoir, où on se retrouve le dernier à être choisi. La différence avec avant, c'est la connaissance de notre propre valeur. C'est plus facile de s'en détacher.

L'impulsive montréalaise a dit…

@shaton : la phrase le dit... Tout ce qui ne tue pas rend plus fort.
@Miss Candy : Ahaahah ! Je ne crois pas nécessairement que 29 ans soit LE chiffre magique. C'est juste mon âge. Mais bon, il est certain que plus le temps avance, plus on devient sage et on sait. Et c'est vrai qu'adulte aussi, ça nous arrive. Mais les adultes sont souvent plus ratoureux, du style plantage de couteaux dans le dos. Les enfants, eux, c'est direct dans le coeur et ils te regardent crier et pleurer en tournant le couteau. Bon, j'image hein ! ;)